Petites boutiques au coeur de Nice
septembre 2006

Près du vieux Nice ou autour du port, quelques magasins oubliés par le temps... Pas d'esprit rétro au goût du jour, rien de factice dans ces décors désuets, les choses sont simplement restées telles qu'elles étaient il y a trente, soixante ou plus de cent ans... Casiers, réserves, meubles à tiroirs, étiquettes calligraphiées, planchers gris, présentoirs bas...le parfum d'un passé ailleurs enfui, ici rejaillit au tintement d'une clochette...

 

           

 

       
                   

Ces boutiques, miraculeusement, vivent encore, presque inchangées. Et demain ?

D'autres ont vu leur volets se fermer à jamais. Les entrepreneurs sont passés, les matériaux de rénovation sont livrés, on dalle, on met des faux plafonds... Ici il y aura un snack, là-bas, un espace de jeux video...

 

 

         

 

Jules Romains, La Douceur de la vie (1939, Flammarion)
Il décrit les boutiques de la vieille ville de Nice avant la guerre.

Quel plaisir m'ont fait les boutiques ! Je n'en connais pas ailleurs qui m'enchantent à ce point, qui me parlent si bien... Je suis pourtant allé à Venise, que j'aime tant, et dans plusieurs villes d'Italie. Ces boutiques sont étroites de façade et très creuses. Beaucoup ressemblent à un long couloir, tout grand ouvert sur la rue. Les marchandises sont distribuées de part et d'autre du passage médian; elles forment des empilements ingénieux, qui évoquent toutes les sortes possibles de tours, de pilastres, de colonnes et qui joignent le sol au palfond. Il y a de grosses colonnes cannelées, qui sont faites de boîtes de conserves rondes. il y a des tours à étages, dont les moellons rectangulaires sont des boîtes de sardines; d'autres, à étages aussi, montant en pyramides vers un bloc suprême, et qui ressemblent à des temples ninivites, sont faites de cubes de savon; mais entre elles des intervalles sont laissés; c'est une tour ajourée, et sur une plaine le vent y chanterait. Aucune denrée n'est abandonnée à son simple sort de choses vendable. L'esprit d'arcchitecture se saisit de toutes, les invite à prendre place, comme les pierres d'une cathédrale dans la construction et l'ornement; et suivant des règles qui semblent celles d'une tradition de fantaisie. Même les matérieux les plus rebelles s'y soumettent : le tonneau d'anchois, le sac de café vert, le faisceau de macaroni. Ailleurs, les saucissons, ou les bobines de ruban. La caisse, petite, se place où elle peut : parfois sur un des côtés, dans un retrait des tours et des colonnes ; souvent au fond, dans l'axe même de la construction : tantôt chaire, tantôt maître-autel.

... Il arrive qu'on voie un doux soleil descendre en biais le long des tours ajourées et des colonnes cannelées... Mais le soir leur convient encore mieux... Elles ouvrent tout grand sur la rue, entre deux tours ajourées de savons, ou deux colonnes de boîtes coloriées, à la façon dont un port très illuminé ouvrirait entre deux môles sur un détroit tranquille mais sombre.

 

 

Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes (1913)
Eloignons-nous de Nice, la physionomie des magasins reste peu ou prou la même. Le narrateur est en vacances chez son oncle et sa tante.

Ils tenaient un très grand magasin à l'une des entrées de ce bourg de Sologne, devant l'église -un magasin universel, auquel s'approvisionnaient tous les châtelains-chasseurs de la région (...)

Ce magasin, avec ses comptoirs d'épicerie et de rouennerie, donnait par de nombreuses fenêtres sur la route et, par la porte vitrée, sur la grande place. Mais, chose étrange, quoiqu'assez ordinaire dans ce pays pauvre, la terre battue dans toute la boutique tenait lieu de plancher.

Par derrière, c'étaient six chambres, chacune remplie d'une seule et même marchandise : la chambre aux chapeaux, la chambre au jardinage, la chambre aux lampes... que sais-je ? Il me semblait, lorsque j'étais enfant et que je traversais ce dédale d'objets de bazar, que je n'en épuiserais jamais du regard toutes les merveilles (...).

Toute la journée, le magasin était envahi par des paysans ou par les cochers des châteaux voisins. A la porte vitrée s'arrêtaient et s'égouttaient, dans le brouillard de septembre, des charrettes, venues du fond de la campagne (...).

Mais le soir, après huit heures, tout le magasin nous appartenait !

Marie-Louise achevait de plier et de ranger les piles de drap dans la boutique (...) alors nous faisions irruption sous les lampes d'auberge, tournant les moulins à café, faisant des tours de force sur les comptoirs ; et parfois Firmin allait chercher dans les greniers, car la terre battue invitait à la danse, quelque vieux trombonne plein de vert-de-gris...

© Copyright Isabelle Duneau 2006

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